Qui gardera le chien et le chat?

«Nous avons acheté Bella trois mois avant de nous séparer. Je n’étais pas très favorable à l’idée de garder un chien en appartement. Mais finalement cela s’est bien passé et je me suis beaucoup attaché à elle.» Quand il parle de son bull-terrier, Nicolas* a de l’émotion dans la voix. «C’est une chienne formidable, vive, active et intelligente. Mais il faut beaucoup s’en occuper et la sortir souvent. Cette race n’est en effet pas du genre à rester inactive au salon.» Au début de sa séparation, le couple décide de partager la garde de l’animal. «Mon ex-compagne s’en occupait le matin. Puis, en cours de journée, je prenais le relais. Ensuite, nous avons trouvé un arrangement qui a bien fonctionné pendant trois ans environ. Nous la gardions à tour de rôle, une semaine sur deux. C’était assez pratique. J’étais content que mon ex-femme se charge de Bella pour me permettre de souffler un peu. Car avoir un chien en permanence à ses côtés, ce n’est pas toujours évident à concilier avec les obligations professionnelles. Mais, quelques jours après, je m’ennuyais déjà d’elle et j’étais tout content de la reprendre», raconte Nicolas. Au final, Bella n’a pas souffert de cette situation. «Quand elle retrouvait mon ex-compagne ou moi-même, elle nous faisait toujours la fête. Nous faisions d’ailleurs attention à lui donner la même alimentation, à la même heure, et à appliquer les mêmes règles en termes d’éducation. Elle avait en somme deux résidences et semblait bien s’en accommoder», explique Nicolas.

Aujourd’hui, Bella vit à temps complet chez sa maîtresse. «Heureusement, le nouveau compagnon de mon ex-femme aime les animaux et s’occupe bien de Bella. Je sais qu’elle n’est pas maltraitée, alors je suis content pour elle. Même si je m’ennuie parfois d’elle. Finalement, ce que Bella a moins bien vécu, c’est l’arrivée d’un bébé dans sa nouvelle famille», souligne le jeune homme, qui n’a pas repris de chien depuis.

D’abord le bien de l’animal

Depuis 2003, chiens et chats ne sont plus considérés par la législation suisse comme des choses mais comme des êtres vivants, membres à part entière d’une famille. «En cas de divorce, forcément, la question de l’attribution de l’animal à l’un ou l’autre des époux va se poser et ce d’autant plus s’il y a des enfants. Lorsqu’il s’agit d’animaux qui ne sont pas gardés dans un but patrimonial ou de gain – c’est-à-dire dans le cadre d’un élevage, par exemple –, le juge attribue la propriété exclusive à la partie qui, en vertu des critères appliqués en matière de protection des animaux, représente la meilleure solution pour l’animal», relève Me Antoine Bagi, avocat à Lausanne et président de la Société vaudoise pour la protection des animaux. Parmi les critères retenus figurent les conditions d’hébergement et de soins de l’animal, mais aussi les relations que ce dernier a nouées avec l’une ou l’autre des parties au litige. Pour déterminer à qui le chien ou le chat sera confié,  le juge tiendra donc compte du bien de l’animal dans sa future existence.

Indemnité envisageable

Actuellement, la législation ne prévoit ni droit de visite pour celui à qui n’est pas attribué l’animal ni pension pour celui qui le garde. Toutefois, par convention, les parties peuvent stipuler de telles clauses. «Celui qui garde l’animal peut être tenu – ce n’est pas une obligation légale, mais le juge peut en décider ainsi – de verser une indemnité équitable à l’autre partie. Elle devra être raisonnable, en fonction de la valeur objective, voire subjective de l’animal», indique Me Bagi.

Un autre cas de figure est celui des élevages. «Comme il s’agit d’une entreprise exploitée généralement sous forme commerciale, il conviendra de liquider la société en respectant les règles en la matière. Les enjeux financiers peuvent alors être importants», avertit l’avocat lausannois. Un avis que confirme Raynald Geiser, président de la Société féline genevoise. «Dans notre société, nous n’avons heureusement pas rencontré de tel cas à ce jour. Mais je peux imaginer que ce puisse être un enjeu financier compliqué à régler si un élevage est établi au nom des deux conjoints. En cas de litige, il faudrait donc faire une demande officielle à la Fédération féline internationale pour changer de nom. Cette démarche peut être juridiquement délicate.»

Recours à des communicateurs?

«Heureusement, à ma connaissance, les litiges mettant en cause la garde de chiens ou de chats ne sont pas fréquents, souligne Me Bagi. A tout le moins pas aussi nombreux que lorsqu’il s’agit d’un enfant, où les intérêts des parties sont souvent bien plus conflictuels. A mon sens, pour résoudre un litige, il faudrait qu’en cas de désaccord des parties, ces dernières – voire le juge en dernier ressort – choisissent un expert faisant autorité en matière canine ou féline, auquel elles puissent se soumettre après enquête», estime Me Bagi.
Selon l’avocat lausannois, les personnes concernées pourraient également faire appel à des communicateurs animaliers, pour entrer en contact avec le chien ou le chat. «Une fois le lien établi, l’animal pourra faire comprendre avec lequel des deux conjoints il entend continuer sa vie sereinement! Mais cette méthode doit encore convaincre», conclut l’homme de loi.

Pierre-Alain Cornaz

Terre&Nature, le 24 avril 2014

* Prénom d’emprunt. Identité connue de la rédaction.