
La tendance est claire et nette. La Suisse compte toujours moins d’exploitations agricoles. Aujourd’hui, il reste officiellement 55 207 unités actives. Un nombre qui, selon les estimations, pourrait encore baisser jusqu’à 40 000 en 2030. Soit une diminution de 2% par an. Cette projection purement mathématique en dit long sur le rythme des disparitions de fermes: presque quatre par jour. Mais attention, prévient Daniel Erdin, d’Agristat, une institution reconnue qui fournit les statistiques de l’Union suisse des paysans (USP), «cette diminution n’est qu’une hypothèse. Elle semble certes réaliste, mais on n’est jamais à l’abri d’un imprévu».
Erosion limitée
Au rythme où vont les choses, une question apparaît légitime: y aura-t-il un seuil qui ne sera jamais franchi? S’il reste difficile à prévoir, ni les statisticiens ni les responsables des organisations agricoles ne craignent en tous les cas une disparition pure et simple de la paysannerie suisse. Il devrait donc bien y avoir un moment où cette érosion viendra à cesser.
Causes économiques
Il n’empêche que cette décroissance, même relative, témoigne d’une réalité vécue dans la douleur, au quotidien, par les paysans suisses. Si des milliers d’agriculteurs décident de quitter le métier, c’est avant tout parce qu’ils n’arrivent simplement plus à vivre de leur travail. Comme ne cesse de le répéter l’USP, les revenus agricoles ne sont pas comparables avec ceux de beaucoup d’autres secteurs économiques. Désormais, cultiver la terre et élever du bétail sont des activités de moins en moins rentables, et bien trop pénibles en regard de ce qu’elles rapportent au ménage paysan. Les jeunes hésitent dès lors à reprendre le domaine de leurs aînés, qu’ils ont vu se tuer à la tâche. Comment en est-on arrivé là? La fin du contingentement laitier, la baisse des prix du lait et des céréales est généralement évoquée par les agriculteurs à l’heure du bilan, de même que les problèmes de succession.
Regroupement d’exploitations
Face à la diminution des exploitations, faut-il, dès lors, imaginer une Suisse qui ne soit, un jour, plus en mesure de manger suisse? Actuellement, selon les chiffres d’Agristat, le ratio entre production indigène et consommation totale dans notre pays se situe environ à 60%. En tenant compte, toutefois, des exportations, 50 à 55% des aliments réellement consommés en Suisse sont produits dans le pays.
L’agriculture suisse n’est par conséquent pas moribonde. Tant s’en faut. De plus, comme le rappelle l’Office fédéral de l’agriculture, les montants débloqués pour le secteur agricole sont plus élevés que jamais: 3,57 milliards de francs par année.
Domaines toujours plus grands
Mais cela ne suffit pas à empêcher la diminution du nombre de paysans. Les chiffres sont têtus: moins 28% d’agriculteurs en Valais entre 2003 et 2013, par exemple. Certes, mais là encore, cette spectaculaire baisse ne va pas sans une précision: dans ce canton, cette chute vertigineuse concerne avant tout de très petites exploitations familiales. En Valais, les héritages finissent par trop morceler les domaines qui ne permettent plus à leurs propriétaires d’en vivre.
Particulier, le cas valaisan s’inscrit toutefois dans une tendance nationale. En Suisse, il faut toujours plus d’hectares de terre pour atteindre la rentabilité. C’est pourquoi, de moins en moins nombreux, les domaines sont toujours plus étendus.
Nicolas Verdan
Terre&Nature, le 11 septembre 2014
Questions à Francis Egger, responsable de l’Economie au sein de l’Union suisse des paysans (USP)
Faut-il se résoudre à accepter l’idée d’une Suisse agricole incarnée désormais par de grandes exploitations?
Il serait faux de vouloir refuser le progrès technique qui implique une certaine évolution des structures. Mais l’USP s’est toujours battue pour que tout changement de modèle se produise en douceur, lors du passage des générations. Avec une surface moyenne par exploitation d’environ 21,8 hectares et une croissance moyenne de moins de 2%, nous ne sommes pas dans une situation de surfaces agricoles gérées uniquement par des grandes exploitations. Toutefois, la tendance va dans ce sens, comme on a pu le constater en 2013. C’est préoccupant.
Quel est le meilleur moyen d’empêcher l’érosion des exploitations en Suisse?
Il faut aménager de bonnes conditions-cadres, éviter toute forte fluctuation de prix sur les marchés, maintenir le crédit-cadre en faveur du secteur agricole, garder une relève motivée et, surtout, apporter de la stabilité. C’est ce que veut l’USP, notamment par l’intermédiaire de l’initiative pour la sécurité alimentaire.
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