
«Mes vaches, je les connaissais toutes par leur prénom, elles étaient comme des amies pour moi.» Dominique Romanens, qui aura 50 ans cette année, a les larmes aux yeux quand il parle de ses bêtes. Le 24 décembre 2013, ce paysan de Chavornay (VD) a perdu presque tout son troupeau dans l’incendie qui a ravagé son exploitation agricole. En quelques heures, c’est tout le travail d’une vie qui est parti en fumée. Sur les cinquante-deux têtes de bétail, seules sept ont survécu. Un drame comme il s’en produit chaque année plusieurs dans notre pays. En octobre dernier, c’était un rural qui brûlait à Drognens (FR). En novembre, une ferme a été ravagée par les flammes à la Tanne (JU). Et enfin, le 5 janvier, le feu a également détruit une ferme à Travers (NE). Les causes d’incendie varient à chaque fois. Comme dans tout type de sinistre, trois origines du feu sont possibles: «Nous devons déterminer si l’incendie est intentionnel, s’il est dû à la négligence ou s’il est d’origine technique ou animale», explique Philippe Jaton, porte-parole de la police cantonale vaudoise. Pour l’heure, rien n’est exclu, hormis la négligence, qui apparaît d’ores et déjà hors de cause.
Remise en question
Face à la perte de son exploitation, une fois passé le premier choc, comment réagir? «Faut-il repartir comme avant, avec autant de vaches? Où reconstruire une étable? Vaut-il la peine de se lancer à nouveau dans le lait?» Devant les ruines de son exploitation, un bâtiment de 1870 entièrement effondré, où le fourrage, le métal et le bois ne forment plus qu’un gros tas, Dominique Romanens ressasse toujours les mêmes questions. Mais comme dit son épouse, Véronique, «il ne faut pas se lancer trop vite dans des projets, car nous n’avons pas encore l’esprit très net». Et pour cause. Les Romanens sont fragilisés par cette funeste veille de Noël 2013. Dans leur tête, les images de l’incendie tournent en boucle. Leurs deux filles se remettent tout juste de leurs émotions. Jimmy, leur fils de 20 ans, actuellement à l’école de recrues, a encaissé un gros choc. Le jour du drame, c’est lui qui a donné l’alarme. Malgré l'intervention des pompiers, saluée par les Romanens, le feu a très vite ravagé tout le bâtiment qui s’est effondré sur le bétail prisonnier des flammes. Alors absent, en visite auprès d’une filleule handicapée, Dominique Romanens est arrivé sur les lieux en catastrophe pour découvrir sa ferme en feu. Il en a fait un malaise et a dû être hospitalisé sur-le-champ. Aujourd’hui, chacun sait que Jimmy, le grand-papa Bernard, l'oncle Roger ont tout fait pour sauver les vaches. «Malheureusement, elles se sont dirigées du mauvais côté, comme quand elles devaient sortir pour se rendre au pâturage,» explique Daniel Hiltbrand, vétérinaire à Orbe (VD) qui est intervenu pendant le sinistre. Appelé en urgence, il a eu la lourde tâche d’euthanasier les bêtes qui souffraient le plus. «Lorsque je suis rentré à la maison, j’ai pleuré pendant un quart d’heure en essayant de raconter à ma femme ce qui s’était passé», explique le vétérinaire, qui dit savoir combien Dominique Romanens, un homme qu’il respecte et apprécie, aimait ses bêtes. Le lendemain du drame, Daniel Hiltbrand a dû encore abréger les souffrances de veaux qui avaient souffert des émanations de fumée et de vaches aux tétines brûlées. Le vétérinaire cantonal a organisé la suite des opérations, en mandatant une société spécialisée dans l’élimination des carcasses d’animaux.
Elan de solidarité
Dans leur malheur, les Romanens ne déplorent toutefois aucun blessé, ou pire. «Il nous a fallu du temps pour réaliser cette chance», reconnaît Véronique. Mais il est des blessures moins visibles, qui touchent à l’âme et qui ne doivent pas moins être soignées. La disparition brusque du bétail, le soudain désœuvrement de Dominique, les incertitudes économiques, qui plus est à l’heure de la nouvelle politique agricole, sont autant de sources d’angoisse. Face à tant d’adversité, les Romanens ne sont pas seuls. Aujourd’hui, ils expriment toute leur reconnaissance envers celles et ceux qui les ont soutenus. A commencer par le pasteur et conseiller synodal Xavier Paillard, qui agit à la demande de la gendarmerie, dont les visites répétées sont précieuses pour la famille. Il y a aussi Yves Auberson, cet agriculteur de Chavornay qui a spontanément apporté son soutien aux Romanens durant l’incendie. Avec un petit groupe d’amis, il a créé Solidarité incendie du Château, une association ad hoc qui a mis en place une chaîne de solidarité, qui a déjà aidé au déplacement de milliers de bottes de foin encombrant les restes de la ferme. Mais ce n’est pas tout, tiennent à signaler Dominique et Véronique Romanens: «Tout le monde, ici au village, a été extraordinaire, même des habitants qui ne sont pas du métier de la terre et qui s’offrent pour un coup de main.» La solidarité, et si c’était là ce qui permet à cette famille de surmonter son chagrin? Les paysannes vaudoises, la Jeunesse de Chavornay, la direction du gymnase accueillant l’une de leurs filles, un officier à l’école de recrues de Jimmy, c’est tout un réseau d’aide, d’écoute, de compréhension et de réconfort qui fonctionne.
Déplacer l’étable?
Désormais, c’est un parcours du combattant qui attend les Romanens. A commencer par le déblayage des ruines. Les discussions avec l’Etablissement cantonal d’assurance (ECA) ont déjà commencé quant à l'indemnisation. «Il est important, dès le projet de reconstruction, d’impliquer une personne spécialisée dans le domaine de la protection incendie», explique Marc-Olivier Burdet, responsable de la prévention à l’ECA. A Chavornay, chez les Romanens, il s’agira de voir ce qu’il adviendra de la surface où se dressait le rural incendié. Si Dominique se lance à nouveau dans la production laitière, une étable en plein village n’aurait plus de sens. Encore faut-il pouvoir construire à l’extérieur. Les incertitudes sont nombreuses et le moral des Romanens s’en ressent. Mais c’est certain, Dominique, Véronique et leur famille seront les plus forts. Au-delà de leur chagrin, on trouve chez eux un bel élan vital. Comme quand Véronique sourit et que Dominique enfile sa veste Fédération Holstein. Pour dire que les vaches, cela reste sa passion.
Nicolas Verdan
Terre&Nature, le 23 janvier 2014
Questions à Marc-Olivier Burdet, responsable prévention au sein de l’Etablissement cantonal d’assurance du canton de Vaud
Plusieurs incendies de fermes ont eu lieu ces derniers mois en Suisse romande. Un phénomène qui augmente?
Non, la situation a peu évolué ces dernières années. Sur Vaud, nous avions trente-quatre incendies de fermes en 2010, trente et un en 2011, trente-huit en 2012 et trente-six en 2013, hors les cas de foudre.
Quelles sont les causes de sinistre les plus fréquentes?
Ce sont les coups de foudre directs et indirects, les dysfonctionnements électriques de toute nature, les incendies de fourrage, les feux de cheminée ainsi que ceux déclenchés par des parties chaudes de véhicules à moteur à proximité d’une source inflammable, comme la paille et le foin.
Comment se prémunir du feu dans un habitat de type agricole ?
En prenant des mesures de séparation de type murs coupe-feu, notamment si le bâtiment comporte une exploitation et un logement. Des mesures de protection contre la foudre doivent également être prises. C’est aussi nécessaire d’avoir des postes incendie et des extincteurs judicieusement répartis. Attention à l’utilisation des lampes et appareils de chauffage ponctuels, qui peuvent être source d’ignition, notamment lorsqu’il y a présence de poussières. De même, l’utilisation de plus en plus fréquente d’installations de chauffage à copeaux, mais aussi des toitures équipées de panneaux photovoltaïques induisent un risque supplémentaire non négligeable. Enfin, compte tenu de l’évolution du métier, notamment avec la stabulation libre, les prescriptions de protection incendie ont été sensiblement allégées en matière de distances de sécurité entre bâtiments, entraînant un risque potentiel. Les exploitations agricoles ne cessent de se réadapter, ce qui rend le niveau de sécurité incendie obsolète. Il est donc fondamental de conserver par écrit la liste des mesures prescrites initialement et de définir une liste des contrôles périodiques utiles.
© DR
+ d’infos Solidarité incendie du Château.
Dons: IBAN CH 1800 76 7000 H 5333 1040
BCV Chavornay.