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Le salaire minimum pèserait un maximum sur les exploitants

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Le salaire minimum pèserait un maximum sur les exploitants © Mathieu Rod

Sous les serres où poussent leurs tomates, à Fully (VS), les frères Cajeux sont chauds. «Avec l’introduction du salaire minimum, nous aurions 112 000 francs de coûts supplémentaires pour une masse salariale annuelle de 322 000 francs.» Soit 35% d’augmentation que Louis et Jean-Marie Cajeux affirment ne pas pouvoir assumer. Leur exploitation familiale, qu’ils dirigent en compagnie de Gabriel, 23 ans, le fils de Louis, emploie six personnes à l’année. Comme Ravia Céleste, Isabel et Cristina, toutes trois d’origine portugaise, et qui attachent ces jours-ci les longues tiges de tomates grappes, la main- d’œuvre qui est engagée par les Cajeux est payée 16 fr. 40 de l’heure. «Avec les charges sociales, une employée femme, 45 ans, disposant d’un permis C, nous coûte 21 fr. 44 de l’heure. A 22 francs de l’heure, elle nous coûterait 28 fr. 98.» A en croire Gabriel, ce serait une menace directe pour l’emploi: «Grâce à la diversification des cultures, on arrive pour l’instant à avoir des employés toute l’année.» Une telle surcharge salariale serait dommageable pour les Cajeux, fiers de leurs 20 hectares de culture sur les bords du Rhône: arboriculture, tomates, vignes, cette famille fournit en fruits et légumes l’un des géants de la distribution suisse. Suivant l’évolution de leur secteur maraîcher, ces Valaisans ont su développer leur exploitation dans un marché hyperconcurrentiel: leurs fruits et légumes se trouvent, au final, côte à côte au supermarché avec des produits européens, moins réglementés sanitairement, et souvent largement subventionnés. Jusqu’à aujourd’hui, la stratégie des Cajeux, basée sur la productivité et la qualité, a payé: «Les belles années, nous injectons de l’argent pour le renouvellement notre exploitation, soit dans le «capital plantes», soit dans les machines, fait remarquer Louis. Cela permet de faire tourner d’autres entreprises.» Mais en quoi l’introduction du salaire minimum pénaliserait-elle directement ces investissements? «Tout simplement parce qu’on n’aurait plus les moyens. On en serait réduits à nous limiter à de petits entretiens prioritaires, tonne Jean-Marie. Aujourd’hui, nous participons à l’économie d’une région. Cette initiative ferait de grands dégâts et des exploitations disparaîtraient tout simplement du paysage.»

Patrons payés comme ouvriers?

Mais il y a plus révoltant, encore, pour les Cajeux. Avec un salaire de 22 francs de l’heure pour les employés, celui des patrons ne dépasserait guère les 3000 francs par mois. «Imaginez un peu! Mon fils Gabriel a fait quatre ans d’internat au centre horticole de Lullier (GE), explique Louis. Il en est ressorti très bien formé et je devrais le payer moins que des personnes non qualifiées, qui ne parlent parfois même pas le français. Sans parler de nos responsabilités et du fait que nous faisons plus d’heures que nos ouvriers.»

Jean-Marie reconnaît volontiers le fait que l’idée d’un salaire minimum part d’une bonne intention. Or, dit-il en substance, les efforts que cela demande à un secteur comme l’agriculture sont insoutenables: «Si nous vendions nos produits à un meilleur prix, nous serions tout heureux de payer nos employés 30 francs de l’heure! Mais dans le contexte actuel, c’est impensable. N’oubliez pas que nous sommes en concurrence directe avec des maraîchers européens qui vont jusqu’à délocaliser leur production au Maroc, comme j’ai pu l’observer en me rendant chez des collègues hollandais.»

La porte ouverte à la tricherie

Jean-Marie n’en doute pas, en cas d’acceptation de l’initiative, «un des dangers serait la tricherie». Soucieux de conserver leur emploi, les travailleurs saisonniers ne s’offusqueraient pas de continuer à travailler aux conditions actuelles, tandis que les patrons ne déclareraient pas toutes les heures effectuées. Les Cajeux préféreraient réduire leur surface d’exploitation plutôt que d’en arriver à de telles extrémités: «On serait contraints de stopper toutes les cultures qui demandent du personnel, déplore Louis et on se contenterait de gérer le reste à trois, avec mon frère et mon fils.»

Nicolas Verdan

Terre&Nature, le 1er mai 2014

Questions à… Dominique Barjolle

Docteur en économie agraire

Un oui au salaire minimum pourrait-il se traduire par une hausse des prix agricoles?
La plupart des exploitations laitières et fourragères n’ont pas d’employé ou alors un seul. C’est pourquoi il n’y aurait probablement pas de répercussion sur les prix du lait, de la viande et des céréales. Mais dans le secteur des légumes et des fruits, qui emploie beaucoup de saisonniers, une hausse des coûts du travail pourrait se traduire soit par une diminution du profit, soit par une augmentation des prix des fruits et légumes. Avec pour effet une diminution de l’offre suisse, en raison de la disparation de producteurs locaux qui ne seraient plus en mesure de supporter la concurrence d’importations de produits étrangers.

Contre les bas salaires, les prix rémunérateurs ne sont-ils pas la seule arme?
Non. Les prix plus élevés ne peuvent être soutenus qu’avec davantage de droits de douane. Une hausse des prix nuirait aux consommateurs. De plus, rien ne dit que les salaires des employés agricoles soient en relation directe avec une augmentation du prix des produits, dans la mesure où ce marché du travail saisonnier est relativement élastique. Des prix agricoles plus élevés se traduiraient avant tout par une augmentation du profit des chefs d’exploitation.

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OPINIONS: Pourquoi le monde agricole s’oppose à l’initiative

«Une unité de main-d’œuvre familiale dans l’agriculture gagne en moyenne 3600 francs par mois, ce qui correspond à un salaire horaire avoisinant les 15 francs. Si la famille paysanne devait rémunérer un employé 22 francs de l’heure, ce dernier gagnerait 50 pour cent de plus qu’aujourd’hui, sans pour autant assumer un quelconque risque d’entreprise. En outre, l’écart par rapport aux salaires versés dans les pays voisins deviendrait gigantesque.»

 

«Dans l’agriculture, les salaires horaires sont dérisoires. Aujourd’hui, il faut inverser le discours. A combien doit être vendu un produit pour que paysans et paysannes, ouvriers et ouvrières puissent vivre correctement? Non, le salaire minimal n’est pas trop élevé, ce sont les prix de nos produits agricoles qui sont trop bas pour pouvoir le garantir. Uniterre le regrette, il n’est pas possible de soutenir une initiative exigeant un salaire horaire de 22 francs de l’heure.»

 

«Il est évident qu’un salaire minimum de 22 francs de l’heure paralyserait fortement la culture maraîchère. Les intervenants ont montré clairement qu’un salaire horaire minimum de 22 francs compromettrait la branche, cette dernière nécessitant beaucoup de main-d’œuvre selon la saison. La hausse de salaire ne serait pas supportable pour les exploitations et bénéficierait uniquement aux collaborateurs sans formation.»


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