
En Suisse romande, les vignerons parlent d’elle sans arrêt. Elle, c’est Drosophilia suzukii, un ravageur de près de 3 millimètres, dont le pouvoir de nuisance est inversement proportionnel à sa petite taille. Depuis cette année, ses attaques ne se limitent plus aux petits fruits, mais elles s’étendent aussi à la vigne. Ces dernières semaines, l’intruse a été signalée dans de nombreuses parcelles, faisant courir les spéculations les plus folles sur les dégâts que son expansion dans le vignoble romand pourrait entraîner. S’il ne s’agit nullement de minimiser cette nouvelle menace, bien réelle, voici dix raisons pour ne pas céder au catastrophisme.
1. Seule une petite partie du vignoble romand a été touchée
Ce sont surtout les variétés précoces, dont l’épiderme est fin, donc facile à percer, qui ont fait l’objet d’attaques. «La drosophile suzukii ne s’intéresse qu’aux fruits rouges, précise Olivier Viret, chef du département recherche en viticulture à l’Agroscope de Changins (VD). Pinot noir, gamay et gamaret ont sa préférence. Quelques parcelles de chasselas ont aussi été touchées, mais dans une proportion moindre.»
2. Dégâts imputables à la suzukii à évaluer avec précaution
Si le ravageur a infligé cette année des dégâts sévères aux cultures de petits fruits, il n’est pas le seul coupable des pertes survenues dans certaines parcelles viticoles. «Ce n’est pas parce que des grains présentent sa trace de piqûre caractéristique que l’ensemble de la grappe est infesté par la pourriture ascétique», souligne Guillaume Potterat, ingénieur œnologue du canton de Genève. Les premières estimations de pertes de récolte dues à la seule suzukii sont donc à prendre avec précaution.
3. Ce climat défavorable ne se répète pas d’année en année
Comme l’a rappelé MétéoSuisse, les températures des quatre premiers mois de 2014 ont été supérieures d’au moins deux degrés aux normes saisonnières. Contrairement aux précédents, cet hiver particulièrement doux n’a donc pas décimé les populations existantes de drosophiles suzukii. A la fois chaud et humide, l’été a favorisé la croissance des fruits à noyau, dont les drosophiles raffolent, ce qui a encore contribué à l’augmentation des populations. «Si les hivers restent froids et les étés chauds et secs, ces ravageurs seront moins nombreux», prédit Olivier Viret, d’Agroscope Changins.
4. La suzukii n’est de loin pas le pire ravageur de la vigne
Du phylloxera aux cochenilles, en passant par l’oïdium, la liste des ravageurs et des maladies qui peuvent toucher la vigne est longue. «Certaines années, le mildiou a entraîné des pertes bien plus importantes, rappelle Olivier Viret. Il y a beaucoup de paramètres qui peuvent perturber la bonne marche des choses en viticulture. La suzukii n’est pas le pire des fléaux. Il faut relativiser.»
5. Tout n’est pas perdu lorsque les parcelles sont touchées
Si les grains de raisin colonisés par la drosophile suzukii doivent être éliminés, il faut rappeler que cela ne constitue, dans la majorité des cas, qu’une portion réduite de la production d’un vignoble. «Sur certaines de mes parcelles, j’ai 20% de perte, note Bernard Cruz, vigneron à Bernex (GE). Cela dit, je pourrai rattraper un peu le coup en faisant du rosé plutôt que du rouge. Sachant que les maladies et les parasites habituels peuvent conduire à une perte de 50%, ce n’est pas si catastrophique.»
6. Le millésime 2014 ne perdra sans doute pas en qualité
Selon Sébastien Fabbi, secrétaire général de Swiss Wine Promotion, la suzukii n’aura qu’un faible impact sur le nouveau millésime: «Les vignerons de Genève, de Vaud et du Valais avec lesquels nous sommes en contact ne semblent pas inquiets. Il faudra peut-être rajouter un peu de sucre si un nombre important de producteurs ont avancé la date des vendanges, mais il est encore trop tôt pour le dire.»
7. Les vignerons auront le choix entre plusieurs traitements
A titre exceptionnel, l’Office fédéral de l’agriculture a autorisé cette année les vignerons à traiter les parcelles infestées par la drosophile suzukii avec des produits utilisés dans l’agriculture biologique. Si l’efficacité de ces traitements reste à démontrer, elle permet tout de même d’abaisser le nombre de ravageurs sur les parcelles touchées. D’ici à l’année prochaine, si la menace perdure, les vignerons en sauront plus sur les traitements qui fonctionnent le mieux. A noter que plus de 95% d’entre eux n’ont pas traité leurs vignes cette année.
8. La surveillance active se pour- suivra à l’échelle nationale
Agroscope va poursuivre le monitoring entamé en 2012 pour suivre l’expansion de la suzukii. Des informations seront mises à la disposition des professionnels régulièrement. En parallèle, la station fédérale va poursuivre les essais sur ses propres parcelles. Le comportement du ravageur n’aura bientôt plus de secrets pour les chercheurs.
9. Nouvelle stratégie de lutte en cours d’élaboration pour 2015
Si l’Agroscope se concentre en priorité sur le soutien aux vignerons jusqu’à la fin des vendanges, ses experts planchent déjà sur une stratégie de lutte coordonnée au niveau national pour 2015. Premier objectif: faire le bilan des dégâts et des mesures mises en place cette année, en collaboration avec les cantons.
10. Autres pistes à l’étude pour limiter la casse dans le vignoble
Des piégeages de masse sont déjà pratiqués avec succès dans certaines cultures de petits fruits. A l’échelle d’un vignoble, la pose de pièges tous les 2 à 4 mètres est possible, bien que très contraignante. Il n’est pas exclu qu’un nouveau dispositif plus adapté voie le jour prochainement.
Alexander Zelenka,
Terre&Nature, le 2 octobre 2014
Questions à Olivier Viret, chef de la recherche en viticulture à l’Agroscope Changins
Le déplacement de la drosophile suzukii des petits fruits vers la vigne était-il prévisible?
Nous savions depuis 2011 que ce ravageur pouvait faire des dégâts dans les vignes. Mais malgré le monitoring mis en place en 2012, il était impossible de suivre précisément la migration de cette espèce. La suzukii est un insecte très mobile et dynamique dans son cycle biologique, qui lui permet de se reproduire en l’espace de douze jours.
Certains vignerons disent avoir été prévenus tard de cette nouvelle menace...
Nous avons commencé à informer les vignerons de l’évolution de la situation par le biais de notre site internet dès 2012 et de publications spécialisées, comme le Guide de la viticulture pour les cultures spéciales 2013-2014. En parallèle, nous avons mené de nombreux essais dans nos cultures, qui nous ont permis, entre autres, de communiquer sur les préférences de la suzukii pour les cépages rouges précoces et sur la possibilité de faire des traitements.
Faut-il s’attendre à ce que la drosophile suzukii fasse plus de dégâts à l’avenir?
Les conditions climatiques particulières de cette année ont beaucoup favorisé ce ravageur. Lors d’années «normales», il devrait poser moins de problèmes. Mais désormais, il faudra composer avec lui. Une fois qu’un insecte s’installe, il n’est pas possible de l’éradiquer.
© DR
La drosophile suzukii, mouche venue de loin
- Nom latin Drosophilia suzukii.
- Origine Japon, Chine.
- Taille 3 millimètres.
- Arrivée en Suisse 2011, via l’Italie et la France.
- Dégâts petits fruits (framboises, fraises, cerises, etc.), vigne.
+ d’infos Pour en savoir plus sur la drosophile suzukii: www.agroscope.admin.ch