Quantcast
Channel: Terre & Nature
Viewing all articles
Browse latest Browse all 179

Derborence sous surveillance

$
0
0
L'aide-géomètre Fabien Fournier effectue des mesures © Alexander Zelenka

«Vous allez monter avec moi dans la machine, le pilote nous déposera au sommet d’une tour rocheuse où je prendrai une première série de mesures», crie Franck Schmidt pour couvrir le bruit de l’hélicoptère d’Air-Glaciers qui se rapproche de la place d’atterrissage située en contrebas du village de Derborence. Travaillant pour le compte du Bureau Geosat SA, mandaté par le Bureau d’études géologiques (BEG), à Aproz (VS), le géomètre embarque la grosse caisse contenant son matériel à bord.

Le rituel est bien rodé et, quelques secondes plus tard, nous décollons. L’immense paroi de la Tête-de-Barme, qui 
domine de 1500 mètres le cirque de Derborence, semble se rapprocher en accéléré. C’est d’ici qu’est parti l’éboulement meurtrier de 1714, qui a enseveli les chalets d’alpage, tuant quinze personnes et des dizaines de têtes de bétail. En comptant le second éboulement de 1749, le géologue du BEG, Michael Digout, responsable du projet de surveillance, a estimé le volume total des dépôts détachés de la montagne à 50 millions de m3! «Soucieux d’assurer le suivi du site, la commune de Conthey et l’Etat du Valais ont mandaté le BEG, en 2011, pour effectuer une campagne de mesures précises», explique Franck Schmidt.  

Course contre les nuages

Avec une facilité déconcertante, le pilote nous dépose à l’endroit convenu. Des dizaines d’edelweiss, magnifiques, tapissent cette étonnante plate-forme perchée dans les airs, à plus de 2500 mètres d’altitude. La vue sur les sommets avoisinants et sur le massif du Mont-Blanc, visible au loin, est époustouflante. Mais Franck Schmidt n’a pas le temps de s’adonner à la contemplation. «On annonce un possible épisode nuageux en fin de matinée. Si ces prévisions se vérifient, nous ne pourrons pas continuer les mesures, ce qui nous retardera dans notre campagne. La météo prévoyant un temps instable pour les prochains jours, il n’est pas certain que l’hélicoptère, dont nous avons besoin pour atteindre les sites de mesures qui ne sont pas accessibles à pied, pourra voler.»

Sortant l’appareil de mesure de sa caisse, Franck Schmidt entreprend de l’installer sur un trépied fixé à un socle rocheux. «Nous faisons des relevés en visant une trentaine de cibles dans la falaise, pré-
cise le géomètre. Celles-ci sont matérialisées par des prismes que nous avons 
installés au début de notre campagne, 
il y a trois ans, avec l’aide des guides d’Air-Glaciers.» Et de poursuivre: «Pour simplifier, nous calculons les coordonnées en trois dimensions de chacune de ces cibles depuis cinq sites différents, répartis sur les hauteurs de Derborence. Nous croiserons ensuite ces données entre elles de manière à obtenir une plus grande précision.»

Danger constamment réévalué

Malheureusement pour Franck Schmidt, les prévisions météorologiques pour ce début de journée sont en train de se vérifier. Les cibles disparaissent dans les nuées, et bientôt la montagne tout entière est avalée par un gros nuage. Après s’être brièvement entretenu au téléphone avec son patron, le géomètre annonce au pilote de l’hélicoptère, resté avec nous, que la campagne reprendra le lendemain.

La tension retombe. Nous retournons à la machine, qui nous descend à Derborence aussi vite qu’elle nous avait amenés sur ce nid d’aigle. Mais la journée de Franck Schmidt est loin d’être finie. Il va profiter de contrôler le bon fonctionnement des GPS, qui permettent de s’assurer de la bonne stabilité des emplacements des sites de mesures par rapport aux campagnes précédentes. «Une fois les mesures terminées, nous devrons encore affiner nos calculs durant plusieurs jours pour obtenir les valeurs de déplacement exactes entre les différents états de mesures. Celles-ci seront ensuite analysées par les géologues du BEG.» A l’heure actuelle, rien ne permet de dire que le site est dangereux. Il restera toutefois sous étroite surveillance ces prochaines années. Même si trois siècles ont passé depuis l’éboulement meurtrier de 1714, les falaises surplombant Derborence continuent de faire peur.   

Alexander Zelenka

Terre&Nature, le 18 septembre 2014

bonasavoir.png

Une tragédie qui 
a inspiré Ramuz

Charles Ferdinand Ramuz s’est inspiré de l’éboulement de 1714 en écrivant son roman Derborence, publié en 1934. Se basant sur le récit de la catastrophe du pasteur Philippe Bridel, datant de 1786, l’écrivain vaudois y raconte l’histoire d’Antoine, un berger resté bloqué sous les rochers. Lorsqu’il réussit à en sortir, sept semaines plus tard, les villageois le prennent pour un revenant.   
+ d’infos Derborence, Charles Ferdinand Ramuz, Editions Plaisir de lire, 192 pages.


Viewing all articles
Browse latest Browse all 179

Latest Images

Trending Articles